Après La Mastication des morts en 2007, Eva Vallejo et Bruno Soulier reviennent au Théâtre du Rond-Point avec un texte de l’auteure autrichienne Kathrin Röggla. La comédienne-metteure en scène et le pianiste-compositeur signent un oratorio théâtral aux lignes rigoureuses et ironiques.

«Par le mot et le son, parler de l’homme aujourd’hui, de ce qui fonde son identité». Telle est la devise de L’Interlude Théâtre / Oratorio, compagnie créée en 1994 par Eva Vallejo et Bruno Soulier. Fondant leur univers artistique sur la rencontre de musiques originales et de textes d’auteurs contemporains — Yves Ravey, Patrick Kermann, Philippe Minyana… —, les deux artistes nordistes (leur structure est basée à Lille) travaillent à nourrir le théâtre par la musique et la musique par le théâtre. Ainsi, dans Dehors peste le chiffre noir, cinq comédiens (Catherine Baugué, Lucie Boissonneau, Alexandre Lecroc, Pascal Martin-Granel, Eva Vallejo) partagent le plateau avec un guitariste (Ivann Cruz), une violoniste (Léa Claessens) et un pianiste (Bruno Soulier). Ils le font de manière tenue, exigeante, donnant naissance à un oratorio théâtral à la fois coupant et spirituel. Coupant : de par l’obscurité parfois inquiétante de la scénographie, de par les perspectives sur la société de consommation que dessine le texte de Kathrin Röggla. Spirituel : de par la singularité et la finesse dont fait preuve l’auteure autrichienne.

Une suite de variations sur l’argent et le surendettement

Conçu à partir d’une série d’interviews menées, en Allemagne et en Autriche, auprès de personnes endettées, d’organismes bancaires, de conseillers en rachat de crédit…, Dehors peste le chiffre noir multiplie les points de vue sur les problématiques liées à la suprématie de l’argent, à la paupérisation des classes moyennes et populaires, à l’accroissement des situations de surendettement. Ceci, sans jamais développer de discours manichéens, convenus ou moralisateurs. Et, c’est là l’une des grandes forces de ce spectacle : parvenir à interroger ces thématiques en évitant d’emprunter les sentiers battus des documentaires télévisuels. A travers une suite de saynètes échappant à la notion de personnage, le texte de Kathrin Röggla traite ces sujets comme de biais, avec acuité et ironie. Dehors peste le chiffre noir ne donne ainsi ni dans les grandes professions de foi, ni dans les dénonciations sentencieuses, mais s’amuse à pointer du doigt certains détails de nos vies pour en éclairer les impasses et les contradictions.

Manuel Piolat Soleymat