« La polyphonie du temps présent »
Ils sont ensevelis sous le manque d’argent, confrontés au surendettement. Dans dehors peste le chiffre noir, l’autrichienne Kathrin Röggla tisse leurs témoignages. Eva Vallejo, metteur en scène, et Bruno Soulier, compositeur, font entendre leurs paroles.
Comment Kathrin Röggla aborde-t-elle la réalité économique et sociale du surendettement ?
Eva Vallejo / Bruno Soulier : Elle a travaillé à partir d’enquêtes menées auprès de toutes les couches de la société touchées par le surendettement. Elle ne compose pas un théâtre purement documentaire car l’écriture transcende la juxtaposition de témoignages pour construire une parole chorale. Au souci d’analyse d’un phénomène contemporain répond celui de sa traduction formelle dans une langue très construite, à la fois reflet des milieux sociaux observés et produit artificiel.
Qu’est-ce qui vous a séduit dans cette écriture ?
E. V. / B. S. : Son propos, sa choralité, sa créativité, son cynisme, son empathie, sa distance, son absence de didactisme et de tout misérabilisme, son jeu entre onirisme et absurde… Le texte propose un matériau riche et très construit, sorte de rubik’s cube débridé qu’il nous est loisible de décomposer, démonter et réassembler, pourvu qu’on évite la leçon de morale ou la victimisation.
« L’écriture transcende la juxtaposition de témoignages pour construire une parole chorale. »
Comment traitez-vous cette « polyphonie » scéniquement ?
E. V. / B. S. : La choralité traduit à la fois l’interpénétration entre espace individuel et collectif, sphère publique et sphère privée, et le questionnement porté sur la marge de liberté de l’individu dans sa relation avec l’autre. Il s’agit donc là de déployer une chorégraphie organisant le corps et la parole des uns et des autres au sein d’une scénographie entre salon intime et univers de bureaux.
Comment travaillez-vous cette partition avec les acteurs ?
E. V. / B. S. : L’interprète doit aborder une multiplicité de personnages et construire en même temps son parcours au cœur d’une mise en scène chorale qui le convoque en permanence sur le plateau, glissant d’une parole individuelle à une parole collective, d’un code de jeu à un autre, du dedans au dehors dans la plus grande fluidité. Une très grande importance est donnée au travail rythmique, en relation directe avec l’écriture musicale.
Propos recueillis par Gwénola David
dehors peste le chiffre noir, de Kathrin Röggla, mise enscène d’Eva Vallejo, musique de Bruno Soulier. Du 17 au 20 novembre 2009 au Palace/CDN de Béthune